L'islamophobie (à ne pas confondre avec la controverse) est un discours de haine, et comme tout discours de haine, il doit être dénoncé.
C'est pourquoi de multiples acteurs religieux et séculiers condamnent à juste titre, depuis plusieurs semaines, l'abominable projet d'un pasteur de Floride de brûler le Coran le 11 septembre prochain (2010).
Est-à-dire que l'islamophobie serait en progression aux Etats-Unis?
A voir de plus près.
Au-delà des déclarations, effets d'annonce et instrumentalisations diverses, j'essaie de réagir en chercheur soucieux des faits et des sources.
Pour cela, un excellent point d'observation est celui des statistiques officielles du FBI au sujet des "crimes de haine".
Voici le lien pour les données 2008.
Qu'apprend-on ici? Qu'à population approximativement équivalente aux Etats-Unis (environ 6 à 7 millions), juifs et musulmans souffrent de manière très différenciée des "hate crimes".
On lit ainsi dans la rubrique "Religious bias", que 65,7% des "hate crimes" liés à la confession religieuse des victimes ont touché les juifs en 2008 (derniers chiffres disponibles), et 7,7% ont touché les musulmans.
Juifs dix fois plus touchés que les musulmans par les "hate crimes" (FBI)
Or, juifs et musulmans constituent, au plan démographique, une population de taille assez similaire aux Et ats-Unis.
Conclusion, d'après les statistiques centralisées par le FBI, il y a eu près de 10 fois plus d'incidents antijuifs aux Etats-Unis en 2008 que d'incidents antimusulmans.
Par ailleurs, les statistiques officielles des années précédentes montrent que les hate crimes contre les musulmans ont fortement décliné au cours des années 2000, après un pic post-11 septembre (voir les tableaux statistiques du FBI ou cet article du Miami Herald).
Hate crimes antimusulmans divisés par quatre dans la première décennie 2000
De 485 en 2001, les crimes islamophobes sont passés à 105 en 2008. Plus de quatre fois moins en quelques années. Cela n'empêche pas chaque crime islamophobe d'être abominable et condamnable, mais cela contextualise les choses et donne une idée des tendances en cours.
Bref, contrairement à ce que voudraient faire croire les extrémistes de tous bords, les musulmans américains font, dans leur immense majorité, paisiblement partie du paysage social et culturel du pays, se trouvant même beaucoup moins pris à partie.... que les juifs.
Autant dire que l'initiative crématoire d'un groupuscule de Floride, toute scandaleuse et islamophobe qu'elle soit, ne saurait être interprétée comme révélatrice d'un soi-disant Tsunami anti-musulman déferlant soudain sur les Etats-Unis.
Commentaires
Les intentions des extrémistes visant à bruler le Coran sont inqualifiables. Elles révèlent une immaturité grossière.
Si on va un peu plus loin, le journal le Monde (27 aout) a publié un article très intéressant sur l'appréciation de Barack Obama en fonction de la religion des sondés. A lire ici :
http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2010/08/27/obama-plebiscite-par-les-juifs-et-les-musulmans-selon-un-sondage_1403663_3222.html
Une telle différence dans les chiffres donne à réfléchir. Il semble bien que les protestants américains voient d'un mauvais oeil B.Obama. Vu d'ici, on dirait qu'ils ont de la peine à s'adapter à son ouverture d'esprit.
Merci pour cette note. J'ai été frappé par le fait que beaucoup, les autorités américaines, mais aussi et surtout des chrétiens américains, parlent de cet autodafé comme étant "anti-américain" ou "complètement contraire aux valeurs de l'Amérique". Ils ont tout à fait raison, bien évidemment. Mais il me semble important de rappeler qu'un tel geste serait aussi foncièrement "anti-chrétien" et "complètement contraire aux valeurs de la bible"...
France Inter parlait ce soir d'une "église évangélique" derrière ce projet. Malgré son nom pompeux, c'est une toute petite église (env. 50 membres, ce qui est minuscule aux USA) fondamentaliste. Mais rentre-t-elle dans les critères de "l'évangélisme"?
Sur le fond de votre article et la grande différence dans les nombres de hate crimes contre les musulmans et les juifs, j'avoue ma surprise. Ayant vécu aux États-Unis, j'avais l'impression que les Juifs n'étaient pas du tout une cible importante, en tout cas bien moins importante que les musulmans. Cela dit, je n'avais pas non plus l'impression qu'il existait un tsunami anti-musulman (sauf juste après 9/11 - ce qui fut très tôt condamné et prit donc fin rapidement). Dans le contexte des différentes guerres américaines de ces 8 dernières années, il semblerait que les médias parlent plus facilement de tout ce qui à trait aux musulmans, quitte à exagérer le trait en donnant de fausses impressions. Merci pour ce rééquilibrage. Cela dit, une bonne partie des américains continue d'avoir très peur de l'Islam.
Merci à Emmanuel et NF pour ces remarques.
Pour répondre très brièvement à la fin du dernier commentaire, oui, la peur de l'islam est considérable aux Etats-Unis, c'est très juste de le souligner. Je vais y revenir dans une note que je posterai demain vendredi.
En fait, les chiffres indiquent de manière flagrante qu'en termes de passage à l'acte, les atteintes antijuives sont beaucoup plus nombreuses. Du reste, il existe toujours, aux Etats-Unis, des rémanances tenaces d'un antisémitisme aux multiples visages! Même un Billy Graham a laissé échapper un jour, dans une conversation avec Nixon, des propos pour le moins douteux, voire nauséabond... Et le passage à l'acte apparaît assez important dans le cas des atteintes aux juifs.
Le passage à l'acte est beaucoup plus réduit à l'encontre des musulmans. En revanche, en terme d'imaginaire (sans passage à l'acte), l'islam fait bien davantage peur que le judaïsme, pour des raisons faciles à comprendre (traumatisme à longue portée du 11 septembre).
Enfin, quant au groupuscule de Terry Jones, c'est effectivement très loin de représenter le protestantisme évangélique.... Pour situer ce groupe dans le contexte évangélique, je reviendrai sur le sujet dans une note postée samedi 11 septembre au matin. A suivre donc!
Je signale un très bon livre: "How does it feel to be a problem? being young and arab in America" de Moustafa Bayoumi, qui n'a malheureusement pas encore été traduit. Bayoumi qui possède une solide formation universitaire s'est entretenu avec des dizaines de jeunes américains musulmans et d'origine arabe. Il a conservé 7 récits de vie permettant de voir les EU post 9/11 avec le regard de ces jeunes gens.
Le titre est une référence à un ouvrage de W.E.B. Du Bois, The Souls of Black folk dans lequel est posé la question "how does it feel to be a problem?" ("Comment ressent-on le fait d'être un problème?")
. A savoir être un Noir dans l'Amérique du début du 20ème siècle. L'hypothèse de Bayoumi est résumé dans la préface de son ouvrage: "les Arabes et les Musulmans américains constituent le nouveau "problème" de la société américaine".
En Iran, on brûle les "bibles sectaires" en quantité.
A Gaza, les assassins du libraire chrétien (dont la librairie a disparu) n'ont jamais été condamnés. Etc etc.
On fait un immense chahut autour de ce projet (débile) de Jones, OK.
Mais les grands médias occidentaux, quel chahut ils font devant l'intolérance violente et quotidienne contre les chrétiens?