Salut l'artiste. Le chanteur Georges Moustaki a tiré sa révérence hier, le 23 mai 2013, à l'âge de 79 ans. Il est hors de propos de faire ici la biographie de celui qui occupe, dans mon panthéon de la chanson française, la première place (pour la chanson internationale, je le place ex-aequo avec le groupe Midnight Oil et Sade Adu).
Soulignons seulement que cet immense parolier, voyageur inlassable et chantre inspiré de la rencontre interculturelle, était aussi un élégant "diseur de sens et de sagesse", hanté par l'amour et la liberté.
Ce chaleureux Méditerranéen, faux paresseux et gourmand de la vie, se tenait à l'écart des discours confessionnels, mais en lien intime et charnel avec les grandes questions métaphysiques et religieuses.
Pour avoir eu l'occasion de l'écouter "en chair et en os" à l'opéra du Caire (au cours d'un séjour de deux ans en Egypte) et à la salle du Forum à Chauny (Picardie, lors d'un concert qu'il donna en Picardie), j'ai pu vérifier de près combien ce créateur au timbre doux respirait la simplicité, le goût de la rencontre, et la "bienveillance", une vertu très justement rappelée par Maxime Le Forestier dans un entretien accordé au Figaro.
Pour ceux qui auscultent les questions religieuses et laïques, on retiendra aussi son goût de la quête et des valeurs incarnées sans fanfare, son refus viscéral du dogmatisme (en-dehors de quelques bouffées vite réprimées), son indépendance créative.
A sa préférence pour l'immanence s'ajoutait aussi une curiosité de longue durée pour la figure du Christ-homme.
Ce passe-frontière n'était pas un saint, et aurait détesté, du haut de son nuage, se voir travesti en reliquaire. Mais il était travaillé par la question de l'espérance, titre de l'un de ses albums ("Espérance", 1977). Sans être aussi imprégné de religion que l'oeuvre de Brassens, le répertoire de Georges Moustaki compte nombre d'échos en direction de la foi et de l'univers judéochrétien.
"Humblement il est venu" (Moustaki)
Parfois, le référent biblique n'est que pur prétexte, comme dans le titre Filles d'Eve (2000), ou dans le référentiel "jardin" (écho édenique) et "terre promise" (cf. album Ballades en ballade, 1989).
Mais ailleurs, il travaille en profondeur la méditation poétique, comme dans Mon vieux Joseph (..."Mais tu as préféré Marie", 1969), Humblement il est venu (..."on ne l'a pas reconnu"... 1976), ou La Seine, la cène et la scène (..."partager avec nous la Cène, et le pain de vie", 1979).
La culture mediterranéenne, qui imprègne la majeure partie de son oeuvre, l'ouvre à l'évocation "des prophètes des dieux, Le Messie en personne" (En Méditerranée, 1971).
Le "Bon Dieu", l'amour et l'éternité
Dans d'autres textes, c'est la prière, plus ou moins hypothétique, qui est invoquée, comme dans le Maraudeur (1963), où il demande "au Bon Dieu" de faire pleuvoir sur "le jardin des jours heureux", après sa disparition.
L'éternité était pour lui une question, un horizon et une option de chaque instant, comme il le chante dans Le Métèque: «Et nous ferons de chaque jour, toute une éternité d’amour… » (Le Métèque 1969).
Une éternité dès lors paradoxalement éphémère, comme insaisissable, à capter dans l'instant présent, suivant le titre donné à un recueil de paroles choisies qu'il publie en 2010: Ephémère éternité (ed. du Cherche Midi).
On se souvient aussi du fameux refrain, que n'auraient pas renié nombre de malicieux sages grecs de tradition classique: «Nous avons toute la vie pour nous amuser / Et toute la mort pour nous reposer.»... (La philosophie, 1975).
Cet immanentisme de l'amour sublimé ou du plaisir hédoniste n'excluait pas non plus une ouverture vers un ailleurs, un au-delà, une libération sur des ailes inconnues, comme l'évoquent ces paroles d'un autre de ses succès, Le facteur est mort (1969):
"il est parti dans le ciel bleu / Comme un oiseau enfin libre et heureux".