A signaler (et à archiver) cette enquête sans précédent sur les mécanismes de discrimination: elle s'intitule "Trajectoires et origines".
Réalisée par l'INSEE et l'INED en 2008, sur la base d'un énorme panel 22.000 personnes (énorme!), elle montre que 40% des personnes ayant déclaré une discrimination sont immigrées ou enfants d'immigrés, alors qu'ils ne représentent que 22% de la population adulte de France métropolitaine.
Il faut prendre connaissance dans le détail de cette étude, téléchargeable gratuitement (numéro 466 d'avril 2010 de Population et sociétés).
Un élément d'analyse doit être rappelé: cette enquête porte sur la discrimination déclarée, c'est-à-dire le ressenti. Est-ce que le ressenti correspond toujours à la réalité? Rappelons que selon la HALDE, 90 % des réclamations reçues (plaintes pour discriminations) sont infondées...
On pourrait faire l'hypothèse de citoyennes et citoyens discriminés objectivement, mais qui ne le formulent pas; et inversement, des citoyennes et citoyens non discriminés, mais qui ont tendance à se victimiser au lieu d'assumer leurs échecs.
Il faut donc être conscient de ce biais, qui joue peut-être en partie dans le différentiel entre hommes et femmes: cette enquête Trajectoires et origines montre ainsi que les hommes déclarent plus de discriminations que les femmes.... Alors qu'en réalité, d'autres enquêtes rappellent que les femmes seraient plus discriminées que les hommes!
Cependant, dans la mesure où le ressenti correspond souvent à une réalité, il faut prendre très au sérieux ces résultats (avec un petit grain de sel tout de même), et en tirer des conclusions.
Des motifs de discrimination variés
Je me limiterai ici à cette remarque: l'enquête confirme que les discriminations ne se limitent pas à l'origine, et à la couleur de peau.
Mais elle montre aussi, et de manière irréfutable, que les discriminations seraient nettement accentuées par ces facteurs. En France, être d'origine immigrée, a fortiori quand on vient du Maghreb ou d'Afrique sub-saharienne, tend à accroître le risque d'un traitement inégalitaire.
On le voit au travers des vecteurs de discriminations cités : l'origine ou la nationalité (citée à 37%), la couleur de peau (17%), le sexe (17%) et l'âge (12%).
L'enjeu central des discriminations liées à l'origine
Ces résultats confirment deux choses:
-dans la logique républicaine, la lutte contre les discriminations n'est pas une option mais un impératif multifocal car le problème est là, quantifié de manière irréfutable. Le cap: faire appliquer le principe d'égalité.
-la prévalence plus élevée du ressenti de la discrimination chez les populations immigrées ou d'origine non-hexagonale confirme l'impératif d'une lutte sans merci contre les communautarismes et les racismes de tous bords, afin de faire respecter ce principe fondamental: les origines diverses des citoyennes et citoyens de ce pays de France sont une richesse, et ne devraient en aucune manière se transformer en handicap.
Si le nauséabond débat d'Etat sur "l'identité nationale" pouvait déboucher sur ce simple rappel,
on n'aurait pas tout perdu.
Commentaires
Bonjour monsieur Fath,
J'ai décidé de faire un commentaire remarquablement hors-sujet par rapport à votre axe de lecture de ce rapport de la HALDE!J'en ai conscience et en plus je l'annonce dès le départ!Quelle terrible audace!Mais que voulez-vous, quand on se heurte au quotidien à des injustices, des difficultés et des discriminations de tous ordres sans que personne ne trouve cela anormal, parce que finalement les faits concernent une catégorie de population qui ne peut pas se faire entendre, qui n'est pas présentable médiatiquement et qui n'est même pas glamour,éh bien au bout d'un moment on ose tout (les cinéphiles se méprendront sur la catégorie de population dont il est question), même le hors-sujet!
Or donc,les faits que vous nous rapportez ici sont bien intéressants, cela dit vous ne parlez pas d'une catégorie de population largement discriminée, les personnes handicapées.J'ai la joie, l'honneur et l'avantage d'avoir un petit garçon de 5 ans dysphasique, éh bien je vous garantis que le quotidien n'est pas simple....Entre le regard porté sur lui,sur nous en tant que parents,les difficultés pour obtenir un diagnostic, l'absence de structures ou d'aides adaptées, et des choses plus graves encore, comme l'école publique qui ne l'a pas accepté sous ce prétexte inénarrable et que je n'aurais pu inventer malgré ma folle imagination: "il est anormal, on n'en veut pas" (je ne crois pas que j'arriverai à oublier cette phrase de toute ma vie!)....
Bon, bien sûr, il ne va pas se plaindre à la HALDE, vu qu'il est incapable de parler....et nous on ne va pas se plaindre non plus, vu qu'on passe notre temps à nous excuser d'exister (c'est vrai en plus!Demandez à des parents d'enfant handicapés l'expression qu'ils utilisent le plus, vous verrez que souvent c'est "excusez-nous"....).Je crois bien d'ailleurs qu'en France ce sont les personnes handicapées mentales qui sont le plus victimes de discriminations...(je vais devoir lire ce rapport de la HALDE nouvelle mouture pour savoir si cela a changé, sans me faire trop d'illusions non plus!).
Je me demande (mauvaise langue que je suis) si des parents auraient voulu manifester ou signer un pétition pour que mon fils puisse aller à l'école (on n'a pas fait le test, on l'a collé directement dans le privé, où d'ailleurs des gens se sont inquiétés de le voir....puis ça les a pas gênés de le dire, le politiquement correct ne va pas hélas jusqu'à adopter une sorte d'attitude digne face au handicap, et croyez-moi je le déplore!!)....
Voilà, je ne vais pas faire perdre plus de temps ni à vous, ni à vos lecteurs assidus,avec mon hors-sujet à la noix!J'avais juste envie de rappeler comme ça en passant qu'il existait toute une frange de la population qui est considérée de facto comme une classe de sous-citoyens sans que cela ne déplace les foules (cela ne change absolument rien au problème que vous évoquez ici, ni à ceux dont vous vous faites régulièrement et à juste titre l'écho sur ce blog).
Cordialement
Réponse à M.C.C.
Vous n'avez fait perdre le temps de personne. Au contraire. Votre commentaire est intéressant, et surtout terriblement juste.
Vous pointez très justement le risque de mesurer les discriminations au "bruit" médiatique qu'elles font.
Avec des conséquences tragiques et quotidiennes pour celles et ceux dont les médias, et la rumeur, se détourne.
Vous avez raison de vous exprimer, et je souhaite que la situation que vous décrivez puisse être connue d'un maximum de lecteurs afin que l'indifférence recule.
Concernant la HALDE, je voudrais vous encourager à lui écrire. Vous n'y perdez rien, et vous avez tout à y gagner.