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Echo d'Atlanta, partie 1 (ASR 2010)

P1080041.jpgAtlanta, c'est la ville de naissance du Coca Cola, mais aussi la cité des Jeux olympiques de 1996, l'inoubliable décor de la seconde partie de Gone With the Wind (Autant en emporte le vent), et, peut-être surtout, l'écrin où s'est affirmé le pasteur Martin Luther King, figure de proue du mouvement des Droits Civiques aux Etats-Unis.



Mais c'est aussi l'incontournable cadre, dans le Sud des États-Unis, de conférences et congrès de toutes sortes, tenus dans de grands hôtels climatisés, un tantinet futuristes, comme le Hyatt, le Hilton ou le Mariott.

 

ASR, le rendez-vous des sociologues des religions

Books sold at the ASR 2010.jpgC''est pour cette dernière raison (les congrès, pas les hôtels) que je m'y suis rendu entre les 12 et 17 août 2010. Rendez-vous des sociologues des religions aux Etats-Unis, le congrès annuel de l'ASR (Association for the Sociology of Religion) s'est déroulé cette année autour du thème "Religion, Identity and Place", avec, on l'a compris, un accent particulier sur les enjeux d'ethnicité et de rapport à l'espace.

C'était, pour moi, "en plein dans le mille", compte tenu de la réorientation de mes recherches depuis deux ans. L'occasion ou jamais de retourner à ce congrès, auquel j'ai assisté précédemment en 2003 (à Atlanta déjà) et en 2006 (à Montréal).


Afe Adogame et Enzo Pace

Je ne résumerai pas ici les très riches contenus de cette conférence de taille considérable (près de 150 interventions). Rien que les tablées de livres proposées par les éditeurs mériteraient d'amples commentaires!

Afe Adogame speaking.jpgJe me bornerai à quelques brefs aperçus, en commençant par le plaisir particulier que j'ai eu à échanger avec Afe Adogame, dont je connaissais les travaux mais que je n'avais jamais rencontré.

Chercheur et professeur basé à l'université d'Edimbourg (Ecosse), Afe Adogame est un des principaux spécialistes aujourd'hui de l'évangélisme africain dans ses dimensions transnationales. Familier, m'a-t-il dit, des travaux d'André Mary (anthropologue), il ignorait en revanche l'existence du laboratoire GSRL (personne n'est parfait)...

C'est aussi un historien attentif à situer les expressions évangélo-pentecôtistes africaines dans la durée, et un collègue qu'il serait bon d'inviter en France!

32865.jpgIl est en particulier le co-auteur, avec James Spickard (que nous avons invité au GSRL cette dernière année universitaire), d'un ouvrage collectif à paraître en septembre 2010. Il s'intitule Religion Crossing Boundaries: Transnational Religious and Social Dynamics in Africa and the New African Diaspora (Brill, 2010).

 

La lecture et la discussion autour de cet ouvrage a été l'objet d'une session spécifique de ce congrès, au cours de laquelle j'ai pu vérifier que le goût de nos amis américains pour le débat et la vraie critique d'ouvrage, sans complaisance ni flagornerie, dépasse, à bien des égards, celui des chercheurs français.

 

Enzo Pace speaking detail.jpgAutre bonne surprise, la présentation dynamique et informée faite par Enzo Pace (université de Padoue) du phénomène des Églises de migrants africains (Ghana et Nigeria surtout).... en Italie, et à Padoue en particulier!

Ce champ de recherche jusque-là quasi inexploré a trouvé, en Enzo Pace et son équipe, un nouveau pôle d'expertise. En discutant avec Enzo, nous sommes tombés d'accord sur l'extrême intérêt qu'il y aura, dans les années à venir, à développer des approches comparatives France-Italie (et plus largement, à l'échelle européenne) au sujet de ces Églises de migrants.

Ces dernières continuent à se développer à vaste échelle, et sur des bases transversales et transnationales (300 Églises ghanéennes, 300 Églises nigérianes en Italie, combien en France?).

SF talking ASR Atlanta 2010.jpgIl m'a naturellement été donné d'exposer mes propres travaux, sur la base du projet accepté par l'ASR: un coup d'oeil synthétique et analytique sur les megachurches de France métropolitaine (entre la Gated community et le Melting pot), avec un accent sur l'enjeu de la diversité ethnique.

L'occasion de vérifier combien les collègues américains connaissent généralement très bien le contexte protestant évangélique, y compris celui des megachurches. Quel plaisir d'intervenir, pour une fois, dans un cadre où cet univers religieux apparaît largement familier des chercheurs!


Session sur l'Église émergente

J'ai pu assister par ailleurs à de nombreuses sessions réparties sur trois jours. Je relèverai seulement ici une session surprenante et stimulante, consacrée au mouvement "Emerging Church" (Eglise dite 'émergente').

 

Emerging Church session.jpg

Session ASR sur l'église émergente (Emerging Church),

août 2010 à Atlanta


Composée de chercheurs et d'acteurs du terrain, cette session a permis de cerner très finement ce mouvement porté, aux Etats-Unis, par des figures comme Brian McLaren et Doug Pagitt (Solomon's Porch). Ce dernier était présent à la session, où il en a profité pour présenter son dernier ouvrage tout en lançant le débat.


Que faut-il retenir de cette séance? En une phrase, le mouvement Emerging Church constitue plus un "laboratoire d'idées" branché pour déçus de l'évangélisme classique (ou d'autres horizons ecclésiaux), qu'une lame de fond destinée à révolutionner le christianisme.

Les intervenants, très pénétrés de l'importance de leur courant d'idée, ont donné le sentiment à l'historien que je suis qu'il présentaient une "énième réinvention du fil à couper le beurre": en clair, sous couvert de (re)créer de nouvelles formes de rassemblement chrétien, rien de très nouveau, y compris dans le discours "anti-establishment" et "anti-institutionnel" (vieille rengaine dans l'histoire de l'évangélisme).

Le mouvement apparaît en perte de vitesse (ce qui n'a rien d'étonnant au vu de ses prétentions surdimentionnées et son vocabulaire ronflant), mais il est rempli d'un bouillonnement d'idées (innovations liturgiques, voire théologiques). Ces dernières sont présentes la plupart du temps aussi dans d'autres cercles confessionnels débourvus du label "Emerging Church", mais ce dernier mouvement pourrait tendre à constituer, en quelque sorte, une chambre d'écho et un "think tank" pour ceux qui entendent réfléchir aux enjeux présents de ce que Pagitt appelle "l'âge créatif" (qui succéderait d'après lui à "l'âge de l'information", "l'age industriel", "l'âge agraire").


Comment évangéliser et socialiser une population qui apparaît depuis quelques décennies comme intégralement dotée d'une éducation scolaire (fait sans précédent dans l'histoire de l'humanité)? Voilà résumé le défi posé par Pagitt et ses amis, au fil d'une table ronde qui a donné un intéressant aperçu des contours de ce mouvement dit "émergent".

 

 

Intérieur du Hyatt Hotel où s'est tenue le congrès 2010 de l'ASR.jpg

Intérieur de l'hôtel Hyatt à Atlanta (lieu du congrès ASR 2010)



Présence européenne à l'ASR

Beaucoup d'autres enseignements pourraient être tirés de ce congrès ASR. Je me bornerai à souligner un dernier point: association américaine, l'ASR rassemble très logiquement une majorité d'Américains. Mais elle reste largement ouverte à l'international, et les Européens ne peuvent s'en désintéresser.

Nous étions cette fois-ci deux Français, sur près de 150 intervenants... On peut faire mieux! L'énorme production américaine en sciences sociales des religions promet certes parfois plus qu'elle ne tient (pour cause de délais de recherche trop courts: mais on va dans cette direction en France aussi hélas).

Mais elle reste incontournable, aussi bien en volume qu'en qualité, a fortiori lorsqu'on travaille, comme moi, sur le protestantisme (première identité religieuse aux Etats-Unis). Elle constitue, pour nos travaux, une irremplaçable source de décentrement et de stimulation intellectuelle. Last but not least, nos amis américains n'ont rien contre le fait d'intégrer nos paradigmes et nos analyses..., mais nous les y aiderons d'autant mieux que nous ferons l'effort de traverser de temps en temps l'Atlantique!

Commentaires

  • S'il existe des sources en français (ou en anglais pas trop compliqué) facilement visibles, peut être serait-il intéressant de diffuser les avancées ou progrès de ces recherches sur wikipedia ?... je pourrais y participer (coté wikipedia, pas coté recherche), si j'ai le temps.

  • Bonsoir,

    Merci de votre billet. Concernant l'église émergente, je ne suis pas sûr qu'elle soit en "perte de vitesse"; outre l'activité tous azimuts de Brian McLaren, il y a prochainement une manifestation appelée "Big Tent christianity" voir http://www.bigtentchristianity.com/.

    D'autre part et surtout, la théologie de McLaren (voir ses nombreux livres) me paraît vraiment nouvelle, courageuse, et loin d'être "anti-institutionnelle etc.

  • Merci Ph. lestang pour ces éléments, et pour le lien vers votre site, fort riche.

    En parlant de "perte de vitesse", je n'ai pas donné une impression personnelle, mais le résumé d'un constat fait par la grande majorité des participants au panel.

    L'un a même affirmé qu'aujourd'hui, l'Eglise émergente était essentiellement devenu, je cite, "a publishing phenomenon" (cf. l'activité "tous azimuts" de B.McLaren dont vous parlez, qui fait des conférences et la promo de ses livres).

    Quant à la manifestation Big Tent Christianity, certes significative, c'est quand même tout petit en comparaison des 1000 et 1 manifestations du même genre, organisées chaque année aux Etats-Unis par les dénominations "classiques" (baptistes, pentecôtistes etc.).

    Sur la "nouveauté" du discours émergent, là, permettez-moi d'être franchement sceptique en tant qu'historien: quand on sonde en profondeur l'histoire des mouvements évangéliques, on s'aperçoit qu'il n'y a "rien de nouveau sous le soleil", juste un recyclage au goût du jour ("postmoderne", paraît-il) du vieux refrain anti-institutionnel, et "chrétien générique" ("les étiquettes c'est mal") qui a toujours caractérisé les revivals évangéliques (méthodiste, pentecôtiste etc...). Tous les revivalistes, presque sans exception, ont appelé en leur temps à un christianisme débarrassé des étiquettes "que les jeunes ne comprennent plus"), des formes rituelles repensées, etc..
    Mais en soulignant cela, je n'effectue pas de jugement de valeur: déconstruire les fausses prétentions de "nouveauté courageuse" n'implique pas que les contenus soient mauvais, ni bons, d'ailleurs. Je ne me situe pas sur ce plan et laisse chacun se faire son idée.

  • Merci M.Fath,

    Je n'ai pas d'opinion, ni de connaissances réelles, sur le mouvement émergent en général: c'est Brian McLaren que je connais.
    J'ai lu un certain nombre de ses livres récents et n'ai rien lu d'équivalent ailleurs. Peut-être le mouvement émergent est-il en perte de vitesse ; je ne sais pas si Doug Pagitt, dont je n'avais jamais entendu parler, en est un bon représentant; je lis pour ma part pas mal de blogs de ce courant et il me paraît bien vivant.

    A noter que Brian McLaren a beaucoup précisé sa pensée (progressé?) depuis son premier livre, dont je parle dans deux billets de mon ancien blog en http://tinyurl.com/3x5fz9k

  • Sur les "Eglises émergentes", voici une excellente introduction (c'est en anglais), pas partisane et assez juste: "Emerging churches: creating christian community in postmodern cultures" de Eddie Gibbs et Ryan K. Bolger, chez SPCK (Society for Promoting Christian Knowledge). Les auteurs expliquent parfaitement que les EC ne se limitent pas à une critique de l'institution et à promouvoir le retour à l'Eglise primitive, mais font le pari d'interroger les formes organisationnelles de l'Eglise dans les cultures actuelles (postmodernes, surmodernes ou ultramodernes, c'est comme on voudra !).

    Les EC possèdent même un versant spatial tout à fait intéressant (géographie oblige), notamment parce que plusieurs communautés ont pris acte des mutations de l'urbain actuel, qui obligent à repenser l'espace religieux moderne.

    Affaire à suivre...

  • Merci beaucoup Frédéric pour ces utiles éléments de précision. J'ai été un peu rapide dans ma note au sujet du mouvement émergent, que j'analyse aussi surtout sous l'angle de l'historien.
    Mais il y a d'autres approches tout aussi pertinentes, notamment la géographie. A suivre en effet.

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