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Sarah Demart et les territoires de la délivrance (évangélisme congolais)

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Mais qu'en est-il des dispositifs de délivrance, au coeur de nombreux cultes congolais?

C'est cette fois-ci vers la thèse de Sarah Demart (Louvain La neuve, Toulouse II, 2010) qu'il faut se tourner pour obtenir des réponses.

La thèse de doctorat en sociologie de Sarah Demart, dirigée par Alain Tarrius et Albert Bastenier, s'intitule "Les territoires de la délivrance; mises en perspective historique et plurilocalisée du Réveil congolais (Bruxelles, Kinshasa, Paris, Toulouse)".

Elle comporte 616 pages. À l'aide d'une approche disciplinaire propre à l'anthropologie sociale, mais avec une dimension historique très ample (l'auteure remonte jusqu'au XVe siècle), Sarah Demart entend étudier les dispositifs de "délivrance" mis en place aussi bien en République Démocratique du Congo qu'en terre d'immigration au sein de milieux pentecôtistes congolais, en auscultant l'impact identitaire et territorial que cette religiosité engendre, au carrefour de la Bible et de la sorcellerie.

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Culte à la Nouvelle Jérusalem à Bruxelles, la plus grande église congolaise d'Europe,

12 juin 2011 (un bon point à celui qui reconnaît "l'intrus")


Un raisonnement en cinq parties

 Une partie de "préambules" (p.10 à 61) pose le cadre de l'enquête, dans son périmètre, sa méthode, ses difficultés. Une première grande séquence dévoile ensuite le contexte historique d'une RDC confrontée aux chocs de la colonisation puis de l'indépendance, où la variable religieuse se reconfigure et s'indigénise (p.62 à 126). La seconde partie s'intitule: "Reconfigurations religieuses depuis de l’Indépendance et avènement du Réveil" (p. 127 à 183). Elle détaille de manière très fine la recomposition du paysage religieux après l'indépendance sans négliger aucun acteur religieux, du catholicisme au kimbanguisme (Église prophétique autochtone).

 La troisième partie, intitulée "Vers une nouvelle confession religieuse : Pluralité, fragmentation et combat spirituel" (p.184 à 282) se focalise plus précisément sur la nébuleuse pentecôtiste congolaise, dont fait partie le "Réveil congolais" particulièrement étudié par l'auteure.

Une quatrième partie très substantielle ausculte les caractéristiques originelles du Réveil congolais, puis s'attache à étudier ses logiques de transnationalisation et d'implantation en Europe et particulièrement en Belgique et en France. S'agit-il là d'une "évangélisation à l'envers?", s'interroge notamment l'auteure.

Une cinquième et dernière partie aborde enfin "Les Églises et la politique" (p.475 à 558).

 

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 Sarah Demart (ci-contre) vient des horizons de la psychologie clinique, et assume dans sa thèse une approche anthropologique audacieuse, expliquant avec finesse sa découverte du terrain en tant que mundele (blanche), à partir d'une militance anti-sida.

Milieu pentecôtiste toulousain (non rattaché aux Assemblées de Dieu, ADD, contrairement à ce qui est dit dans la thèse, cf. commentaires ci-dessous), Église congolaise du pasteur Jérémie à Bruxelles, Église d'origine de l'assemblée pentecôtiste toulousaine à Kinshasa (Église "Tempête apaisée") et terrain parisien brossent bientôt le cadre d'un "territoire circulatoire" (A.Tarrius) propre à une superbe étude comparative.

Encore fallait-il avoir le courage de relever ce redoutable défi d'un quadruple terrain: c'est chose faite et bien faite avec Sarah Demart!

Sans surprise, on retiendra en particulier de cette enquête une analyse minutieuse des dispositifs de délivrance, explicitement désignés comme objet de recherche central. Ces dispositifs sont souvent marqués (mais pas toujours) par la dimension physique de la "lutte" avec les esprits, la médiation du pasteur-prophète, mais aussi par le "témoignage", "une des pierres angulaires des Églises de Réveil" (p.203).

La délivrance peut être "publique et spectaculaire", mais elle peut être aussi "formation et transformation" (pages 210 et suivantes). "La délivrance corporelle n’intervient alors que comme ultime étape d’un processus comportant enseignement, changements d’habitudes, prières, jeûnes, bref, tout un encadrement spirituel qui prédispose le croyant à rompre de façon progressive mais totale, avec ce qui l’attache au monde de l’ «occultisme»." (p.213)

 

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 Mais la thèse de Sarah Demart est loin de se limiter à une focalisation sur la "délivrance". D'autres hypothèses et interprétations valent le détour.

Parmi elles, on peut citer (entre autres!) l'attention aux problématiques du genre, la méta-ethnicité de la conversion (rejoignant des pistes développées, il y a quelques années, par Jean-Claude Girondin dans sa thèse consacrée aux Églises antillaises), l'historicisation du combat spirituel (avec l'effacement de la conflictualité corporelle au cours du processus d'implantation en Europe, p.281), l'usage pertinent de la notion foucaldienne d'hétérotopie (p.55), la conversion comme outil de blanchiment politique en Afrique, ou l'enjeu du racisme au sein des milieux évangéliques, notamment au travers du pasteur Monga, membre de la Commission permenente des Eglises évangéliques libres en Belgique, qui " commence à s'apercevoir que certaines Eglises « vivotent » voire ferment plutôt que d’y envoyer un Pasteur noir" (p.402)...

 

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En vue d'une publication, que l'on souhaite très vivement, quelques ajustements sont à prévoir (structure, problématique centrale à mieux appuyer, quelques recadrages factuels).

Mais ces points à revoir, inévitables compte-tenu des circonstances un peu particulières dans lesquelles cette thèse a été dirigée (contexte indépendant de la volonté de Sarah Demart), n'enlèvent rien à la grande richesse d'ensemble d'un mémoire qui fait date, et qui apporte, avec d'autres travaux récents (cf. thèse de Damien Mottier) une contribution précieuse à l'historiographie de l'évangélisme euro-africain et de ses recompositions dans le contexte des migrations vers le Vieux Continent.

Commentaires

  • Formidable, excellent, génial.

    Malgré des difficultés sans nom, j'ai même réussit à le télécharger, Dieu est grand !

  • Bonjour,
    j'aurai bien aimé réagir à votre dernier commentaire sur le Centre missionnaire de Carhaix, et notamment sur la "réconciliation" de 1990 avec les ADD de France ayant été spectateur de cet évènement. Il y aurait beaucoup à dire mais... Par contre je voulais vous signaler un échange avec votre collègue Bernard BOUTTER sur son blog à propos de cette thèse de doctorat, "les territoires de délivrance". Il y a, malheureusement, et l'auteur de la thèse semble l'avoir reconnu une erreur concernant une "ADD congolaise " à Toulouse. Ce n'est pas la première fois que je note dans des travaux universitaires sur le Pentecôtisme( MASTER et Doctorat) des approximations qui ruinent quelque peu la valeur académique du travail. Il me semblerait intéressant que dans les jurys il puisse y avoir aussi des spécialistes du Pentecôtisme qui le connaissent de l'intérieur. Ca éviterait quelques erreurs dommageables.

  • Bonsoir,
    J'ai en effet été informé aujourd'hui par Bernard Boutter, que je remercie, de cette précision, qui fait partie des petits "recadrages factuels" à effectuer par l'auteure.
    Cela dit, relativisons les choses. Sur plus de 600 pages de thèse, cette erreur ne "ruine" rien.
    Mais il faut effectivement la rectifier, ce que Sarah Demart fera, je n'en doute pas, lorsqu'elle publiera son mémoire de thèse.

  • Oui, je n'avais pas du tout l'intention de remettre en cause son excellent travail. Et je me réjouis à l'avance de la publication de cette thèse. A quand un colloque sur "les Pentecôtismes en France"?

  • moi je l'ai reconnu l'intrus, oui oui, c'est .. vous !!!!

  • Chère Françoise,
    Je vous devais une réponse: "one point for you"!
    Oui en effet, l'intrus (relatif), c'est moi-même sur la photo, qui constitue en fait une capture d'écran, à partir de la vidéo du culte du jour, mise en ligne par cette église.
    Comme vous avez gagné ce point, je vous propose ceci: demandez-moi un sujet sur lequel vous souhaiteriez une blognote (avant fin juin 2012) et je m'engage à vous la rédiger!
    Joyeux Noël... :-)

  • Ça y est je l'ai lu !

    (oui, moi, il me faut 6 mois pour lire une thèse) (sans doute pour ça que je suis pas chercheur au CNRS)

    J'ai au bas mot 150 questions. Mais, malheureusement, j'ai remarqué que l'un des très rares défauts de ce blog est que l'on a très peu de réponses aux questions ethnologiques elles mêmes, finalement. Dans ce blog on a une sorte de flots d'infos factuelles sur les évangéliques ou les colloques.... comme M. Fath fait ça très bien, tant mieux, d'une certaine façon. Mais moi, à l'origine, je m'intéressais premièrement à la vision de l'ethnologue à propos du christianisme en général et des évangéliques en particulier.

    Bref, l'un des étonnements que j'ai eu à la lecture de cette thèse est la place de l'histoire racontée comme outil du discours scientifique lui même.

    Qu'un ethnologue raconte les histoires qu'on lui raconte, ça, c'est normal. Mais que l'ethonologue se mette à raconter lui même sous forme de conte son propre travail scientifique, là, c'est nettement plus étonnant. Et je trouve ça très intéressant car, de part mes engagements artistiques, j'ai mille fois relevé l'étonnante puissance du conte, du mythe, de l'invention, pour décrire la réalité.

    Et, ici, on voit le scientifique qui raconte ses rapports avec les pasteurs, ses doutes, les associations, même les bruits entendus dans les transports dans les bus ("Radio-Trottoir a dit cela... alors j'ai fait ceci... heureusement du coup je suis allée vers...").

    Je ne suis absolument pas contre, bien au contraire, mais j'aurais aimé que l'auteur donne plus d'explications sur le rapport qu'elle voit entre l'histoire et la description scientifique. Surtout que, quelques fois, je me perds.

    Par exemple, dans "l'histoire" du mec possédé par les malédictions de sa grand-mère, j'ai commencé par comprendre que le texte exprimait directement ce qu'avait constaté la scientifique ; je trouvais qu'elle exagérait un peu, que ses constations étaient vraiment tirées par les cheveux ; et ce n'est qu'au bout d'un moment de lecture que je me suis dit que c'était complètement impossible, et que ça devait être l'histoire racontée. Mais comment une histoire peut-elle être discours scientifique par elle même ?

    (ma question n'est pas à prendre au sens que "non ça le peut pas", mais "comment...")

    Et il y a aussi très peu de transitions entre les modes de discours ; on passe des modes "histoire perso", "histoire racontée", "histoire et géographie scolaire", "discours général objectif" quasiment directement. Peut être les ethnologues ont-ils l'habitude (certainement), mais des gens comme moi... et sous toutes réserves il me semble que quelques transitions donneraient plus de rigueur à la thèse.

    Si vous me répondez à cette question je vous poserai 149 autres questions.

    Cordialement.

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