Quand j'ai commencé ma thèse de doctorat sur les baptistes en France, en 1995, les protestants évangéliques étaient encore non seulement peu connu, mais aussi assez régulièrement stigmatisés comme sectaires. C'était l'époque où la religion était encore identifiée, en France, au catholicisme. Au siècle dernier.
Depuis, la société française s'est diversifiée (montée, entre autres, de l'islam), s'est pluralisée, s'est sécularisée aussi.... et s'est ouverte à une culture plurielle qui a modifié, entre autres choses, la perception du phénomène évangélique.
L'évangélisme, branche militante et conversionniste du protestantisme ("on ne nait pas chrétien, on le devient"), reste aujourd'hui souvent mal compris. Parfois caricaturé. L'antiprotestantisme, d'une manière générale, n'est pas une vue de l'esprit. Il existe, en France, des courants minoritaires, mais actifs, qui continuent à vouer au protestantisme, par principe, une méfiance tenace.
Si l'on écoute ces voix, le protestantisme, ce ne serait pas très "français". En tout cas "pas catholique" pour deux sous! Et un peu trop américain pour être honnête. Les évangéliques représentant la branche la plus prosélyte et "visible" du protestantisme, ces derniers concentrent souvent les critiques. Blandine Chélini-Pont, dans La nouvelle France protestante (ouvrage collectif publié en 2011) a par ailleurs justement pointé une certaine sous-représentation médiatique du protestantisme en France, en tout cas par rapport à l'islam ou au bouddhisme.
Les protestants? On ne sait pas bien ce que c'est, et on garde un peu ses distances.
Cependant, je puis affirmer qu'en moins de 20 ans, le climat a changé. La perception de l'évangélisme, en particulier, a souvent gagné en nuances et en profondeur. Les critiques n'ont pas disparu, loin s'en faut, et du reste, l'évangélisme DOIT évidemment être critiqué, comme tous les acteurs de la société. Des dérives, dans ces milieux, il y en a! Et ce blog en a déjà pointé diverses variantes, chemin faisant.
Mais les caricatures sont souvent moins déformantes. Le regard plus rigoureux et plus attentif. La croissance régulière du phénomène évangélique n'y est pas pour rien. Les protestants évangéliques représentent plus d'un chrétien sur quatre dans le monde en 2012, et environ deux pratiquants protestants sur trois en France. Difficile de pointer paresseusement comme "secte" ce qui représente, dans bien des pays aujourd'hui, les forces vives du christianisme du XXIe siècle!
L'essor d'une culture pluraliste contribue aussi à ces évolutions, même si le culte ronflant de la "tolérance" sait se montrer, à l'occasion, bien intolérant lorsqu'il s'agit de sortir du marigot des copains. Enfin, et c'est peut-être un paradoxe, la sécularisation, qui atténue certaines fausses évidences sociales (du style, catholicisme=christianisme) joue aussi un rôle dans ce regard neuf porté sur les évangéliques.
En témoigne par exemple cet article de L'Est Républicain, quotidien lorrain qui compte, depuis longtemps, parmi les fleurons de la presse régionale française.
Dans un article publié le 18 août 2012 en page 4 de l'édition de Nancy, Frédéric Clausse propose un portrait d'une église évangélique de banlieue nancéenne, sous le titre "Une autre parole" (cliquer ci-dessous pour agrandir).
Le pasteur Ernest Serret a été interrogé, ainsi que plusieurs fidèles.
On remarque un ton posé, un souci pédagogique et une volonté d'expliquer sans caricature, qui permet au lecteur de découvrir l'identité évangélique, le profil de l'église Evangélique de la Mission, ses activités d'évangélisation (chorale dans un centre commercial, chapiteau dressé sur le parking d'un supermarché), son rôle social, son insertion dans les réseaux (rôle du CNEF, le Conseil National des Evangéliques de France).
Pas d'aspect publicitaire ou confessionnel, mais un désir d'informer, d'autant plus notable que l'église en question est très prosélyte, et en partie issue, au siècle dernier, d'une Eglise évangélique controversée (l'Eglise de Pentecôte de Besançon, étudiée par Laurent Amiotte-Suchet). Le sujet aurait pu se prêter facilement au regard caustique et au soupçon réductionniste! Il n'en est rien.
Un article aussi fouillé, sur cette église-là, aurait-il été possible il y a 20 ans? Peut-être. Mais de tels articles étaient rares. Aujourd'hui, ils sont bien plus fréquemment exhumés dans les colonnes de la presse des régions.
Au-travers de cet exemple (on pourrait en donner d'autres), tout laisse à penser qu'un nouveau régime de visibilité s'est peu à peu mis en place en France en deux décennies en matière de perception du protestantisme évangélique:
D'une ignorance caricaturale et parfois dénonciatrice vers une curiosité didactique, plus attentive aux signes d'un christianisme de conversion qui plaît à la jeunesse, et se veut (à tort ou à raison) défendre, selon les mots du pasteur Serret, "pas une religion, une relation".
Commentaires
Bonjour,
Sur mon coin (St Etienne) je vois aussi une évolution dans la vision qu'on a des évangéliques, mais je ne suis pas sûr que ils soient bien identifiés par la population générale. Ils sont assimilés aux protestants, et plus largement aux chrétiens. Comme, de toutes façons, pratiquement tous les évangéliques stéphanois se revendiquent protestants et chrétiens, on ne se trompe pas de beaucoup :-)
L'évolution plus nette est qu'ils me semblent mieux acceptés et compris par les autres confessions chrétiennes. Eux mêmes font des efforts en ce sens.
Il n'est pas clair que ce soit la faute à la sécularisation ; la sécularisation est une notion discutable, je crois. Il y a certes des églises évangéliques qui se sécularisent, mais quelques unes sont déjà beaucoup plus anciennes qu'on ne l'imagine, et aussi beaucoup qui sont "du jour" :-) Alors, sécularisation, à quel niveau ?
Toutes à ma connaissance essaient de collaborer ensemble, et même de se faire reconnaître des milieux chrétiens. Il me semble que ce qui les poussent à sortir du "marigot des copains", comme vous dites, est qu'il y a probablement un affaiblissement des relations avec le niveau national (parisien, je veux dire). Si l'on regarde, pratiquement toutes ces églises sont en relation avec quelque chose qui les chapeaute au niveau national, voir international (baptisme, plein évangile, apostolique...) ; tant que la relation est forte avec ce niveau national il y a peu de collaborations locales, et quand il s'affaiblit, alors les relations locales deviennent une solution vitale (est-ce que je dis est-il clair ?? )
Que ce soit chez les catholiques, chez les protestants, ou chez les évangéliques, j'ai l'impression qu'il y a un affaiblissement général de la relation avec Paris, et que c'est ce qui explique de meilleures collaborations locales entre confessions. Mais ceci est juste une hypothèse, hein.
Je n'ai pas l'impression qu'il y ait un boum dans la fréquentation de ces églises. Elles rament plutôt pour vivre. Au moins, elles y arrivent. Le contraste est frappant avec les réformés, qui meurent à petit feu, c'est mon opinion : il y avait au moins 3 pasteurs réformés il y a 25 ans, il n'y en plus que 0,8 aujourd'hui.
Un autre changement de vision est la différentiation église pour pauvres / églises pour riches. Cela devient une différentiation régionale type à Saint Etienne / Hors de Saint Etienne ; les pauvres restent à Saint Etienne, les riches vont "dans la plaine" ; j'imagine qu'il faut maintenir une certaine distance géographique riches / pauvres ? En tous les cas, les évangéliques s'adaptent parfaitement à ce mouvement ; les réformés en semblent incapables, je ne sais pas pourquoi ?
Bref ! C'étaient les pensées du jour. Si vous voulez, je peux encore en mettre autant. Merci.
Merci beaucoup pour cette observation du terrain stéphanois. Vous ne voudriez pas vous recycler en anthropologie ou en sociologie dites-donc? Vous auriez le talent pour cela, mais je crois que vous en avez bien d'autres, alors je ne veux pas vous "débaucher" :-)
J'aurais une question: que voulez-vous dire par 0,8 pasteur réformé présent à Saint-etienne? Un pasteur à 80%? Merci de votre réponse
SF
Heu... hum... mon calcul du nombre de pasteurs est fort peu scientifique... comme tout ce que je dis d'ailleurs.
Sauf erreur que chacun corrigera, un poste pastoral chez les réformés est occupé environ 6 ans sur 7 (une année de vacances, non pas du pasteur, mais du poste).
De plus, le "poste" est réparti, selon les années, en mi temps, ou quart de temps, ou quart de quart de temps, sur d'autres "missions" : visiteur de prison etc, autre église locale, etc. Si je fais une estimation à la louche, je prends 0,8.
Mais on pourrait tout aussi bien dire que ce 0,8 pasteur fait le boulot de 4 personnes... les chiffres ce n'est pas facile.
Sur le reste, à tout prendre je crois que je préfèrerais l'anthropologie à la sociologie ; je préfère les singes aux hommes, je crois. Si donc il y a des places qui se libèrent... Merci :-)
Cordialement.