Charles-Eric de Saint-Germain (déjà présenté dans ce blog) est un philosophe engagé, pédagogue, qui écrit bien et ne suit pas les vents dominants. Traduction: le Petit journal de Canal + ou Télérama, thermomètres bobos de la bien-pensance stylée (contre)façon canaille, ne l'inviteront pas pour un grand entretien. Ciel!
Pour ces motifs, et pour beaucoup d'autres, cela vaut la peine de lire attentivement ce professeur de classe prépa talentueux, cultivé et roboratif, qu'on partage toutes ses options, ou pas.
Venu au protestantisme évangélique, dans un parcours intellectuel et spirituel qu'il a exposé à ses anciens coreligionnaires catholiques dans un ouvrage de fond qui revisite la théologie paulinienne (lien), il n'a pas pour autant abdiqué son exigence philosophique et s'inscrit ici dans la filiation de Jean-François Mattéi (La barbarie intérieure) et Alain Finkielkraut (La défaite de la pensée), pour dénoncer une société consumériste pétrie de lâchetés à court terme, qui brouille les repères et cède, dit-il, au "fantasme de la toute puissance".
Son dernier ouvrage s'intitule La défaite de la raison (Paris, Salvator, 2015, 356p). Accrochez vos ceintures, il y a de quoi débattre!
Lien ici vers le livre (lien 1), et là vers un interview détaillé (lien 2).
Commentaires
Souvenons-nous aussi du brillant ouvrage suivant :
Francis Schaeffer, "Démission de la raison", édition française révisée, Maison de la Bible Préverenges, traduction revue par Pierre Berthoud, 5e édition, 1993 (titre de l'original anglais : "Escape from reason" © Intervarsity Press, Londres, 1968).
http://www.samizdat.qc.ca/vc/biog/shaeff_bio.htm
http://www.croixsens.net/livres/schaeffer.php
http://www.bible-ouverte.ch/messages/livresretranscrits/95-livres-retranscrits-demission-de-la-raison/622-raison-preface.html
Franchement, "dénoncer la bien pensance" est devenue une activité.... presque "bien-pensante".
Assez d'accord, cher Frédéric, à une forte nuance près: la France est devenu un pays où le débat se fait très difficile. Médias et politiques sont très liés (y compris par le subventionnement de la presse), le milieu des sciences sociales est en crise (le triomphe des appels d'offre mercenaires à court terme détruit les dynamiques de recherche en profondeur, et multiplie les dérives carriéristes), et la loi républicaine est tombée depuis plusieurs années dans un quasi clientélisme communautariste qui protège plus certains que d'autres et peut aller jusqu'à interdire de mal penser (d'où le succès du discours Dieudonné, qui ne repose pas, hélas, que sur du vent). Une large part de la population étouffe. Si la bien-pensance est dénoncée de plus en plus, ce n'est pas seulement un conformisme de plus. C'est aussi qu'il y a le feu. Dénoncer la bien-pensance ne suffit pas, mais c'est aujourd'hui absolument vital en France, afin de réaménager de VRAIS espaces de débat (non téléguidés par le haut et la médiacratie).
C'est le seul moyen de contribuer à éviter qu'une Marine Le Pen n'arrive en tête au premier tour des prochaines Présidentielles.... voire même qu'elle soit élue.
Bonsoir Sébastien, ma remarque était avant tout une boutade. Peut-être est-ce parce que je ne suis plus en France, mais vu du Québec je n'apprécie pas tellement les auteurs qui se réclament d'une dénonciation de la "bien-pensance". Pour ma part, je crois que nous souffrons d'un manque de discussion (et surtout d'une "éthique de la discussion"). Il n'y a justement plus que du débat, c'est à dire du catch de plateau-télé.
Entièrement d'accord. Et au plaisir d'un rediscuter de vive voix dès que l'occasion se présentera!
L'éthique de discussion s'est délitée au profit d'une mise en scène des oppositions destinée à faire du buzz ou de l'audimat. Ce que je n'appelle pas "débat" d'ailleurs, ou alors, c'est une parodie de débat.
La discussion ou le débat dont la France a besoin passe par la promotion d'un espace délibératif où le "Bien Pensé" n'est pas nécessairement acquis d'avance. Ce type d'espace existe en partie au niveau local, dans certaines "niches" des grands médias, et sur internet. A chacune et chacun d'élargir ces espaces afin de progressivement rendre l'espace public plus accueillant à cette culture délibérative "grass-root".
L'écart entre "les élites" (je simplifie) et la population, source de la gangrène FN, se réduira alors et la société française respirera mieux.
Pour faire ce que vous souhaitez ci-dessus, et à quoi je souscris, il serait bon que ce livre échappe aux clichés du bouc émissaire, le soi-disant "pédagogisme" et la "pensée 68". les deux caricatures méritent d'être mieux débattues, analysées en finesse, chose que l'épigone de Finkielkraut ne me semble pas faire. gef
Je ne suis pas forcément un fan du Petit journal de Canal + ou de Télérama et je n'ai pas - encore - lu l'ouvrage de Charles-Eric de Saint-Germain mais je m'inquiète de la manière dont la critique de la bien-pensance ouvre la voie à une parole "décomplexée" souvent irréfléchie, vulgaire et haineuse. Qu'on ne me dise pas qu'elle est "populaire" : je n'ai jamais entendu mes grands parents issus du monde ouvrier promouvoir la haine de l'autre ou utiliser un langage grossier. Je ne vois pas trop ce qu'il y a à sauver chez Dieudonné, Zemmour, Soral, Le Pen, père et fille, Escada, Farida Belghoul et tant qu'à faire Paul Ohlott et ses sbires d'Actu-chrétienne qui se vantent de "péter" pendant les minutes de silence de "Charlie hebdo". Ce ne sont pas les bobos mais ces provocateurs qui tuent le débat en le remplaçant par le slogan haineux. Ce à quoi ils s'attaquent, ce n'est pas la "bien-pensance" mais les valeurs de la République - qui, j'en suis d'accord avec toi, ne peuvent durer que par le débat démocratique. Au passage, il est à noter que les réactionnaires de tout poil savent laisser de côté leurs revendications communautaristes pour s'unir sur certains fronts.
Merci beaucoup Sébastien pour vos réflexions pertinentes et l'invitation à lire et méditer ce livre.
j'ai lu deux commentaires intéressants sur cet essai :
- sur le site "Liberté politique" : http://www.libertepolitique.com/Actualite/Decryptage/La-Defaite-de-la-raison-de-Ch.-E.-de-Saint-Germain-pour-resister-a-la-barbarie-politico-morale-contemporaine
- et sur le site "Enquête et Débat" : http://www.enquete-debat.fr/archives/la-defaite-de-la-raison-essai-sur-la-barbarie-politico-morale-contemporaine-de-charles-eric-de-saint-germain-55968
Dans ce dernier commentaire, j'apprécie, en autres, ce qu'écrit "ldwoillemont" à propos de la rupture avec le passé; je cite :
"Reprenant Régis Debray, il (Charles Éric de Saint Germain) observe que nous vivons une triple rupture avec le passé ; le livre a fait place à l’image, la parole de séduction succède au discours construit et rationnel, et enfin la référence à l’histoire et à son sens passé avenir s’est dissoute au profit du seul temps qui compte : l’instant."
Je le constate malheureusement chaque jour auprès des étudiants qui lisent de moins en moins, ont une culture générale de plus en plus pauvre, n'arrivant pas à construire leur phrases (utilisant à tout bout de champ les mots "chose" "truc" pour faire face à leur pauvreté linguistique), n'arrivant pas à construire leur argumentation. Par contre, ils sont des as de la communication virtuelle, superficielle et immédiate, l'émotionnel ayant pris le dessus sur la raison...
Bien que conscient de ces rapides changements générationnels, je reste optimiste en incitant la jeunesse à "se poser" pour entendre (écoute active après avoir momentanément "débranché" le portable), réfléchir, échanger, argumenter...