Alors que l'actualité électorale américaine remet sur le devant de la scène les leaders religieux et télévangélistes, il est grand temps de saluer l'héritage intellectuel d'un chercheur pionnier dans le domaine de l'étude des prédicateurs cathodiques: Jacques Gutwirth (1926-2012).
Ce chercheur CNRS atypique, globe trotter, esprit libre aux curiosités inlassables, s'est éteint le 11 janvier 2012.
Pour la toute petite histoire, il faisait partie des 11 personnes qui avaient cliqué "J'aime" sur mes voeux Facebook 2012 (je ne vais presque jamais sur Facebook).
Mais au-delà de ce dernier "clic" complice, il faut rappeler l'ampleur d'une oeuvre plurielle et féconde, sous le sceau des sciences sociales des religions, qu'il a longuement pratiquées au sein du GSR (Groupe de Sociologie des Religions), ancêtre du GSRL actuel (mon laboratoire).
Liberté intellectuelle
Je n'ai pas eu très souvent l'occasion d'échanger de vive voix avec ce passionné au regard affable et attentif aux autres, mais les rencontres dont je conserve le souvenir (à l'occasion des colloques de l'AFSR en particulier) m'avaient donné l'exemple d'une liberté intellectuelle peu commune, se jouant des frontières.
Le site internet du laboratoire qu'il a fondé et dirigé (Laboratoire d'Anthropologie Urbaine) résume ainsi son apport scientifique:
"Il laisse une œuvre majeure dans les domaines des études juives et de l’anthropologie urbaine, champ disciplinaire qu’il a fortement contribué à faire émerger en France et qu’il n’a cessé de soutenir. Il a su stimuler et guider de nombreux chercheurs qui lui sont aujourd’hui redevables de leur orientation scientifique".
Ouvrage pionnier
J'ajouterai que la synthèse qu'il a publiée aux éditions Bayard en 1998 sur L'Eglise électronique. La saga des télévangélistes, constitua, pour le jeune chercheur que j'étais, un modèle.
Sans ce livre, je n'aurais pas écrit, quatre ans plus tard, mon Billy Graham, pape protestant (2002)? Dans la magistrale enquête conduite par Jacques Gutwirth, j'avais notamment admiré son souci pédagogique, sa précision du détail, l'élégance de sa plume, le soin qu'il portait à un décryptage nuancé, fort de cette "fairness" anglosaxonne qu'on ne retrouve pas toujours dans nos milieux franco-français, hélas.
Même dans l'étude de figures aussi facilement caricaturées que le télévangéliste Jimmy Swaggart, Jacques Gutwirth ne se départissait pas d'un scrupuleux souci d'équilibre, d'analyse fouillée, et en un mot, d'humanité.
Last but not least, quel plus bel exemple de curiosité intellectuelle que de se pencher, en ethno-sociologue, sur un milieu aussi éloigné de la "vie juive traditionnelle" à laquelle il avait consacré son premier livre en 1970? Une curiosité sans tabous qui inspirera longtemps les passeurs de frontières.
La notice nécrologique que son laboratoire a publiée est consultable ici: notice Gutwirth
Quant à sa bibliographie, on la trouvera là: bibliographie Gutwirth
Commentaires
J'avais peu lu Gutwirth, mais j'ai souvent conseillé "La renaissance du hassidisme", son livre de 2004, que j'avais trouvé fort éclairant.
J'ai appris la nouvelle par votre blog.
Y a-t-il une journée d'hommage prévue?
Votre laboratoire, il fait quoi?
J'ai eu l'occasion de lire (et relire) son ouvrage : l'Eglise électronique. Je l'ai trouvé extrêmement bien fait (références, analyses, etc.), et surtout, très pondéré. Bref, je considère pour ma part que derrière ce genre d'écrit se trouve une grande personne. Respect.
Jacques Gutwirth était aussi un pionnier des archives ouvertes scientifiques. Dès 2004, il a soutenu ce mouvement, et m'a confié ses publications à déposer en archives ouvertes.
Malgré l'opposition aux archives ouvertes du directeur du Laboratoire d'anthropologie urbaine de l'époque, Jean-Charles Depaule, j'ai mis en ligne ses publications. A titre personnel sur mon temps de loisirs, puisque cela ne faisait pas partie de mon travail officiel de documentaliste, ingénieure CNRS affectée au Laboratoire d'anthropologie urbaine (UPR34 CNRS°
Je lui ai fait une collection personnelle pour ses archives ouvertes
http://hal.archives-ouvertes.fr/JACQUESGUTWIRTH
Eliane Daphy, ingénieure CNRS responsable des archives ouvertes du IIAC
http://hal.archives-ouvertes.fr/AO-IIAC