A la suite de Charles Monbaya, l'homme par qui le champ du Gospel s'est structuré au Congo RDC dans les années 1980, la musique religieuse en lingala et en français est devenue un élément majeur du "creuset congolais" étudié par Damien Mottier sous l'angle du prophétisme (dans Fancello et Mary, Chrétiens africains en Europe, 2011, p.155-178).
La musique chrétienne congolaise, dotée d'un grand portail internet francophone depuis 2008 (http://casarhema.fr/) constitue aujourd'hui un genre florissant, dont l'étude reste à faire.
Si cette affirmation d'un Gospel congolais francophone a pu se produire, en dépit d'une conjoncture politique et économique très délicate et d'une pauvreté endémique, c'est en large partie en raison du poids démographique considérable du protestantisme congolais.
Ce poids actuel tient évidemment à la taille du pays (cf. note précédente), et au passé missionnaire multipolaire (où les protestants belges, étudiés par Léonard Rwanyindo, cf. ci-contre, ne sont qu'un acteur parmi beaucoup d'autres).
Affinités avec le protestantisme
Bien que le catholicisme congolais ait généré lui aussi sa musique religieuse, bien que les frontières catholicisme / protestantisme soient parfois fluides, il faut souligner ce poids prépondérant des protestants, et des Eglises africaines (comme le Kimbanguisme) sur le terrain musical Gospel.
Sauf erreur, le catholicisme congolais n'a pas produit (pour l'instant?) de très grande "référence" en matière de musique religieuse. Lorsque le pape Benoît XVI décida de recevoir un chanteur congolais catholique, c'est le légendaire Pap Wemba (le pape et le pap!), auteur trucculent, formidablement créatif, charismatique et imprévisible, qui eut l'honneur d'une audience très médiatisée, le 13 janvier 2010 (voir photo ci-dessous).
Le "pap" et le pape (audience 13 janvier 2010)
Cette audience entre Pap Wemba et Benoît XVI est d'autant plus savoureuse qu'en dépit de ses convictions catholiques revendiquées, Pap Wemba (deux fois condamné, en France et en Belgique, pour faux papiers et trafics d'êtres-humains) n'a pas la réputation d'un enfant de choeur fidèle au catéchisme, lui qui revendique notamment, haut et fort, sa polygamie."Dieu n'a jamais dit qu'il ne faut pas avoir plusieurs femmes", déclarait-il par exemple en 2003.
Sa musique est par ailleurs beaucoup plus "pop" que religieuse, sans revêtir le caractère du genre Gospel, qui implique d'articuler référentiel biblique et thématique rédemptive.
Lorsqu'on scrute aujourd'hui le Gospel congolais, ce n'est donc pas vers le talentueux et fantasque Pap Wemba qu'il faut se tourner: c'est avant tout en territoire protestant qu'il faut s'aventurer. Christianisme du Sola Gratia rompu à l'analogie avec la sortie d'Egypte (Pharaon équivalent à Rome), le protestantisme congolais a servi de point d'appui privilégié pour la musique Gospel, dans le sillage de Charles Monbaya.
Une musique qui s'aventure résolument sur les "territoires de la délivrance" (cf. intitulé de thèse de Sara Demart).
S'il ne fallait citer qu'un nom aujourd'hui en matière de Gospel de "délivrance", c'est celui de Marie Misamu qui vient à l'esprit. Marie Misamu ? Toutes proportions gardées, c'est un peu la "Oum Kalthoum du Congo", ou "l'Amalia Rodriguez" du Congo RDC. En un mot, une figure emblématique, qui cristallise la spiritualité d'un peuple tout entier par l'art de sa voix. Mais qui est-elle?
Souvent appelée "Soeur Marie Misamu" (alors qu'elle n'est nullement bonne soeur), elle s'est très tôt singularisée par la tessiture de sa voix puissante et modulée, son expressivité hors du commun et son charisme de diva.
Comme le souligne, non sans emphase, Nsimba Joani Dias sur le site Congovision, "Marie c'est un phénomène de la musique chrétienne, c'est la grande chansonnière sillonnant les podiums des églises chrétiennes. Ses concerts sont combles, ses disques se vendent mieux que les maigres pains kinois et ceci conjugue à l'engouement des fans pour cette vibrante et irrésistible musique de la sœur."
Native de Kinshasa, elle a commencé à chanter du Gospel dès l'âge de 11 ans, puis a débuté sa carrière dans les années 1990 avec l'évangéliste Debaba, lui-même ancienne vedette de la chanson populaire congolaise.
Elle a travaillé à la création de plusieurs albums Gospel, tels "Ma prière", "Mystère du voile", Saison", avec une constante: l'omniprésence de la thématique religieuse, sous l'angle du salut chrétien et de la délivrance.
Pour les médias congolais, son genre musical ne fait pas de doute, c'est bien du Gospel! Un Gospel original, très différent, à la fois des standards américains, et des nouvelles formes franco-caribéennes.
Chantant parfois en anglais, c'est surtout en lingala (avant tout) et en français qu'elle interprète un répertoire varié, parfois proche de la world music, mais le plus souvent profondément ancré dans la spiritualité congolaise et kinoise, comme en témoigne le clip ci-dessous, "Ma consolation", qui dévoile une gamme émotionnelle d'une grande intensité.
A l'image de son prédécesseur Charles Monbaya ou du groupe Makoma (cf. note précédente), sa réputation a franchi les frontières, de l'Angola au Québec en passant par la Côte d'Ivoire, la Belgique et la France. Le 3 janvier 2009, elle remplit ainsi la salle du Millénaire, en région parisienne (2500 places), au côté du groupe Bana OK (spécialisé dans la Rumba congolaise).
Devenue une figure emblématique de la diaspora congolaise, Marie Misamu n'en est pas moins restée relativement à l'écart des grands circuits du showbiz. En revanche, on notera une nouvelle fois le rôle clef joué par les nouveaux médias numériques: dans la publicité présentée ci-dessus, qui invite les Québécois à se rendre au concert, on découvre ainsi que le nombre de visionnages des vidéos de Marie Misamu sur Youtube est devenu un véritable argument de vente, authentifiant la popularité de l'artiste auprès des réseaux diasporiques: 165.000 visionnages sur Youtube à dater d'octobre 2009, comment ne pas se précipiter au concert?
Le clip ci-dessous, intitulé "Ma consolation", atteint d'autres sommets: à dater du 13 février 2012 au soir, il a été visionné 300.552 fois depuis qu'il a été posté le 6 juillet 2009!
C'est dire la popularité "hénaurme" de cette chantre Gospel kinoise, qui chante ici principalement en lingala, avec quelques incrustations de langue française ("je ne sais pas pourquoi Tu m'aimes comme ça"...).
"Ma consolation", un Gospel congolais intense et "vintage" par Marie Misamu
(visionné plus de 300.000 fois sur Youtube)
Commentaires
Bonjour,
Dans ce riche protestantisme congolais, il ne faut pas oublier le groupe "Adorons l'Eternel" qui a fait aussi son tour du monde, avec de grands concerts donnés en RDC, en France et aux Etats Unis. Sur la toile, le groupe dépasse de loin Marie Misamu : certaines de leurs vidéos ont été visionnées plus d'un million de fois depuis leur mise en ligne en 2007. Par exemple :
- Eh Yawhe, chanté en lingala : 2 475 261 vues !
- Shilo (Lisez "Schilo" qui est l'un des titres du Messie dans la Bible), chanté en français : 1 868 512 vues ;
- Muana na mpate (l'Agneau de Dieu), chant de louange au Christ Ressuscité : 1 469 789 vues
- El Shadaï, chanté en français : 1 528 517 vues.
Leur nouvel album sorti en 2011 est bien placé également, avec un titre, Kati na Yo (en Toi), qui a déjà 356 470 vues sur Youtube depuis un an.
Je crois que c'est une des figures incontournables de ce gospel et de ce protestantisme congolais qui a un sens profond du témoignage chrétien et de l'adoration en musique, comme le dit aussi le nom du groupe. Je vous mets quelques liens pour vous en rendre compte par vous-même :
- http://www.youtube.com/watch?v=QA94__uGBb4&list=RD023vneVgrMdUg
- http://www.youtube.com/watch?v=3vneVgrMdUg
- http://www.youtube.com/watch?v=4rh18qzaFis
- https://www.youtube.com/watch?v=mPY9UwZiNjc
Enfin, je pense que la richesse et la force de ce protestantisme congolais ne tient pas seulement à sa démographie, mais beaucoup à l'association du ministère de la prédication à celui du chant. C'est en tout cas de cette manière là que j'entends autour de moi parler de ces groupes chrétiens mondialisés : chanter, exhorter, adorer Dieu, c'est leur ministère.
Bien cordialement,
Ruth-Annie Coyault
Bonjour,
Un grand merci pour ce commentaire très riche, qui vaudrait d'être transformé en blognote à part entière!
Je ne réalisais pas l'ampleur de l'impact de ce groupe que je ne connaissais que de loin, j'ai vu les vidéos..
Il est à mettre en valeur comme porte-étendard d'une pépinière de groupes dont le trait commun, effectivement, est très souvent d'articuler prédication et chant. Encore merci, et à suivre!