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Au-delà des réactions épidermiques, comprendre le phénomène DAECH

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 La décapitation en Algérie de l'otage français Hervé Gourdel par un groupe islamiste (23/09/2014)  a suscité, en France, une immense émotion. Les assassins se réclament de la mouvance de l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), qu'on appelle désormais Daech dans les médias français (ce qui en réalité ne change rien). 

Comment comprendre? Au-delà des réactions épidermiques ou des ronds de manche de pseudo-spécialistes qui, tout en prophétisant depuis 25 ans le déclin de l'islamisme, continuent à occuper l'espace médiatique, il existe heureusement quelques excellents experts pour nous guider, à commencer par Pierre-Jean Luizard, du CNRS

Pierre-Jean Luizard (GSRL) a accordé il y a quelques jours un remarquable interview au journal en ligne Mediapart qui, pour le coup, apporte une contribution de tout premier ordre à l'intelligence de phénomènes trop souvent obscurcis par une analyse épidermique. Les quatre pages de cet entretien sont à lire attentivement. 

Il rappelle tout d'abord une erreur commune: celle de vouloir à tout prix distinguer islam comme religion, et islam comme projet politique. Dixit:

"Dans nos dictionnaires, il est écrit « l’islamisme désigne l’islam politique ». On veut voir l’islam non pas comme il est, mais comme l'on voudrait qu’il soit !  (...) 

Cet islam qui ne serait pas politique n’a existé que dans les désirs des puissances coloniales, notamment de la France, qui a toujours vu la religion comme quelque chose qu’il fallait contrôler, et qui a promu cette image d’un bon islam apolitique.

Il n’y a donc pas de séparation, en contexte chiite ou sunnite, entre religion et politique."

Il fait ensuite observer que la politique menée par les Etats-Unis suite à l'invasion de l'Irak en 2003 est largement à l'origine de la balkanisation actuelle de l'Irak. Le sentiment d'abandon des Sunnites alimente massivement les rangs de l'Etat islamique/DAECH, et ce ne sont pas les rodomontades peu structurées des puissances occidentales à la conférence internationale de Paris, au début de ce mois, qui y changeront quelque chose. Envisager des frappes militaires aériennes (qui renforceront, au sol, la popularité des islamistes) sans réfléchir à une solution politique sert-il à autre chose qu'à faire gonfler le chiffre d'affaire des marchands d'armes?

géopolitique,géopolitique des religions,irak,syrie,liban,daech,etat islamique en irak et au levant,pierre-jean luizard,gsrl,cnrs,décolonisation,islamisme,islam,islam politiquePierre-Jean Luizard souligne enfin la quasi disparition de l'Etat irakien actuel, décrédibilisé et impuissant. Si "l'Etat islamique" autoproclamé n'est pas un Etat, le pouvoir en place à Bagdad est-il davantage "étatique"? On peut s'interroger.

Après avoir évoqué "les minorités religieuses, chrétiennes, yézidies ou shabaks", en "passe d'être éradiquées", il fait observer enfin, en historien qu'il est, que la guerre féroce qui frappe actuellement toute l'aire syro-irakienne est aussi, et peut-être surtout, une crise post-coloniale: 

"Si les États de la région ont aussi facilement accueilli des régimes autoritaires, et pendant aussi longtemps – en Irak, en Syrie, en Libye… – c’est aussi parce qu’il s’agissait de créations coloniales artificielles qui ont séparé des populations ou qui en ont autoritairement réuni d’autres, et qui ont surtout manifesté la trahison, par les Alliés, des promesses qu’ils avaient faites aux Arabes d’un royaume unifié".

Tout l'entretien est à lire, en accès libre (merci Mediapart) ici (lien). 

infographie-daech_lacroix_moyen.jpg

Par ailleurs, saluons le beau travail de synthèse (y compris par une belle carte, ci-dessus) du journal La Croix, via Agnès Rotivel et Marie Verdier (mis en ligne le 23/09/2014).

 

Commentaires

  • Bjr, ?'y a t il pas, dans le refus de la distinction entre islam politique et islam religion, que soutient Luizard, une sorte d'imposition théorique empêchant de penser toute évolution de l'islam? Qu'il y ait des aveuglements occidentaux (remontant à la colonisation?) sur la possibilité d'un contrôle civique et politique de l'islam, soit, mais que signifie le refus d'accorder aux musulmans en général le souci d'opérer cette distinction entre religion et politique.
    De fait les deux dimensions, politique et religieuse, interfèrent en toute religion, même en situation de laïcité, mais c'est le type d'interférence qu'il faut étudier de près, plutôt que de jeter la suspicion massivement sur une religion qui, heureusement, compte, envers et contre ses dérives, des penseurs soucieux d'ouvrir un espace sociétal et civil d'ordre "laïque", comme Yad Ben Achour, par exemple.
    Manque de nuances dans l'argumentaire évoqué, me semble-t-il.
    cordt, gef

  • Oui, il est effectivement essentiel de laisser ouverte la porte d'une évolution forte de l'islam, voire d'une sécularisation interne, avec une distinction croissante religion/politique. Pierre-Jean, je pense, ne ferme pas cette porte. Mais il faut garder à l'esprit que cet auteur est spécialiste du Moyen-Orient, pas du terrain musulman européen. Et il a raison, me semble-t-il, de pousser un peu le trait pour nous faire sortir d'un certain eurocentrisme: si l'islam européen se sécularise, l'islam au Moyen-Orient suit un autre chemin, avec un mix religion/politique très puissant. Nous avons sans doute tort, vu d'Europe, de transposer trop vite nos schémas sur un terrain moyen-oriental très différent du nôtre. C'est tout l'objet du propos de Pierre-Jean et cet appel au décentrage est utile.

  • Précision utile, merci
    gef

  • "Au-delà des réactions épidermiques ou des ronds de manche de pseudo-spécialistes qui, tout en prophétisant depuis 25 ans le déclin de l'islamisme, continuent à occuper l'espace médiatique, il existe heureusement quelques excellents experts pour nous guider, à commencer par Pierre-Jean Luizard, du CNRS. "

    Oui enfin il était apparu à CSOJ pour expliquer que les jeunes français devaient aller visiter la Syrie pour sortir des cliché occidentaux sur ces Etats. Il l'ont pris au mot ! mais pour faire le djiahd. Très antisraélien et proche des Indigènes de la République je ne suis pas sûr qu'on puisse le qualifier de guide.

  • Luizard est un peu mieux que Roy, Képel et compagnie qui prêch(ai)ent sur la fin de l'islamisme. Mais je suis assez d'accord avec Fiorino. Prudence

  • @ SF
    Il avait conseillé aux français de se rendre en Syrie pour sortir de l'eurocentrisme à CSOJ....
    Il vaut mieux qui s'abstienne de donner des tels conseils.

  • Allons allons, Pierre-Jean Luizard est un très bon spécialiste, mais il ne prétend pas être un GUIDE, et il n'a appelé personne au Djihad! Son invitation au voyage avait un tout autre sens. Et cet appel au décentrement est extrêmement précieux, dans un contexte où tant d'Européens pêchent par ignorance crasse, par naïveté, par angélisme ou par facilité du bouc émissaire.

  • c'est curieux de conclure sur la faute de l'occident, c'est tellement pratique
    Pour ma part je pense que Daech se moque pas mal des accords S P, c'est de la pure propagande et la justesse des frontières des États ne sont pas le sujet
    Daech se moque des frontières, l'Etat est la Khalifa, le territoire du Khalifa est le Dar al islam, le reste est a conquérir
    Son idéologie il la puise dans la filiation wahhabite : même principe, même méthode d'élimination des minorités, meme procede d'expansion rapide et brutale, même délire messianique
    Son territoire il le tient d'une folie qui a consisté à supprimer des états totalitaires sans projet politique, et surtout a tuer l'Etat lui meme
    Moi je renverserai le diagnostic, c'est par la réaffirmation des États irakiens et syriens que Daech perdra, c'est par le biais de ces États créés par l'Occident que le MO retrouvera la paix
    Et c'est aussi et surtout par une remise en cause de l'emprise salafiste sur l'islam, et ça il n'y a que les musulmans qui peuvent le faire et là curieusement ce n'est pas sa conclusion ! De la à dire que la solution viendra de l'islam d'occident sécularisé... ce n'est pas pratique ce n'est pas post colonial

  • Je pense personnellement, comme l'explique Mark A. Gabriel ("Islam and Terrorism - What the Quran really teaches about Christianity, violence and the goals of the Islamic jihad" 2002, Charisma house), que dans ce domaine, beaucoup de personnes, quelle que soit (ou pas) leur confession religieuse, ont adopté l'attitude qui consiste à "prendre ses désirs pour des réalités"... Et s'il n'y avait que ça...

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