Suite à une présentation faite la semaine dernière au laboratoire GSRL aux côtés de Jean-Paul Willaime, voici ci-dessous un résumé détaillé de l'ouvrage collectif La nouvelle France protestante (pour l'obtenir en PDF, cliquer ici).
Cet ouvrage de 488 pages publié en 2011 aux éditions Labor et Fides est porté par 22 auteurs, dont 6 contributrices et 16 contributeurs.
Dix contributions émanent d'auteurs avec rattachement parisien, quatre avec un lien strasbourgeois et trois avec rattachement montpelliérain. Les autres affiliations se répartissent entre Caen, Aix, Brest (un rattachement chacun), et deux rattachements étrangers, Canterbury et Montréal. Du point de vue disciplinaire, 8 historiens ont contribué, ainsi que 7 sociologues. Anthropologie (2), théologie et missiologie (2), politologie (1), géographie (1), civilisationnisme (1) complètent la palette des approches mobilisées.
Le livre se subdivise en quatre grandes parties, complétées par un avant-propos, une introduction historiographique, une conclusion, 84 pages d'annexes et la table des matières. Les lignes qui suivent proposent un bref aperçu de ces contenus.
En préambule (p.11-25)
Les deux premières pages d'avant-propos de l'ouvrage, signées des coordinateurs du volume, rappellent les conditions d'élaboration de cette "Nouvelle France Protestante", entreprise collective rendue possible grâce à l'organisation d'un colloque tenu à Paris entre les 18 et 20 novembre 2010, avec le soutien décisif de la Fédération Protestante de France.
Une introduction historiographique (p.13 à 25) signée Sébastien Fath souligne ensuite l'accélération des travaux en sciences sociales sur le protestantisme, dont l'ouvrage lui-même est un témoignage, sur fond d'une attention croissante aux "différenciations confessionnelles" (p.18). Pour la seule période 2005-2010, 14 ouvrages sont ainsi parus en langue française, illustrant la vitalité croissante des études sur les milieux protestants, enrichis de nouveaux terrains (milieux évangéliques) et de nouvelles approches disciplinaires (apport considérable de l'anthropologie et des études missionnaires -travaux du CREDIC-).
Première partie (p.27-102)
La première partie s'intitule "Etat des lieux: une minorité en légère croissance" (p.27 à 102). Elle se caractérise par la priorité à une approche quantitative et descriptive, qui présente les données les plus récentes sur l'empreinte socio-religieuse du protestantisme dans la société française actuelle. En 75 pages, elle campe le décor, à partir de 5 contributions.
Claude Dargent ouvre le bal en proposant un bilan du protestantisme français "au miroir des sondages" (p.29 à 43). Il se donne les moyens d'un regard ample, à la fois dans la diachronie (il remonte au XIXe siècle et les "sondages grandeur nature" du Second Empire) et dans l'espace, puisqu'il s'appuie aussi sur les enquêtes internationales (European Values Study). Il conclut sur un protestantisme français qui semble "à un tournant de son histoire. Contrastant avec la baisse de son poids dans la société française des années 1560 à la fin du XXe siècle, la dernière période semble montrer une inversion de tendance" (p.42).
Mais quel périmètre retenir pour circonscrire les logiques d'impact du protestantisme en France? L'objet de la seconde contribution (S.Fath), est de proposer une grille de lecture critériée, à partir d'une étude sur "pratiquants et lieux de culte, des temples désaffectés aux megachurches" (p.44 à 59). Sur la base de 4000 lieux de culte, dont 2600 lieux évangéliques et 1400 lieux luthéro-réformés, cinq cercles d'appartenance sont distingués. Ils englobent jusqu'à 2,6M de protestants et "proches du protestantisme". Les pratiquants, quant à eux, seraient environ 1 million, dont 600.000 pratiquants réguliers.
Les cercles d'appartenance du protestantisme français
Jean-Daniel Roque propose ensuite une étude éclairante sur les cotisants (p.60-73), tels que les institutions rattachées à la Fédération Protestante de France (FPF) les dénombrent. Soulignant que les associations cultuelles protestantes représentent "plus de la moitié des associations cultuelles existantes" en France (p.70), il fait observer que ces associations vivent "quasi exclusivement de dons manuels" Ces dons sont variables selon les Églises : un baptiste donne en moyenne plus de deux fois plus qu'un réformé (p.69). Dans plus de la moitié des cas, ces dons manuels rémunèrent au moins une personne, à savoir le pasteur, tout en assurant la plupart du temps le financement du lieu de culte.
Mais qu'en est-il de l'impact protestant sur la scène médiatique? A partir d'une étude quantitative, Blandine Chélini-Pont éclaire ces questions dans une contribution intitulée "Le protestantisme aujourd'hui au miroir de la grande presse" (p.74-88). Elle fait observer que par rapport au judaïsme ou à l'islam, le protestantisme reste moins médiatisé, avec une différenciation entre le traitement des protestants évangéliques (regardés avec méfiance) et un protestantisme perçu comme "de souche, progressiste" (p.85). On apprend aussi que c'est le quotidien La Croix qui réserve la plus grande couverture médiatique au protestantisme.
La cinquième contribution de cette première partie revient sur le 500e anniversaire de la naissance du réformateur français Jean Calvin. Cet anniversaire a marqué toute l'année 2009 (p.89 à 102). André Encrevé souligne qu'au delà de manifestations commémoratives très denses, "c'est donc l'image à la fois d'un protestantisme moderne, gai et optimiste, au fond bien adapté à son temps, et celle d'un protestantisme se présentant comme calviniste" (p.102) qui a été donnée, sur la base d'un refus de l'hagiographie, au point qu'Isabelle Graesslé, à l'Assemblée du Désert 2009, a pu prêcher sur "oublier Calvin".
Deuxième partie (p.103-178)
La seconde partie s'intitule "Une identité plurielle: A la découverte du kaléidoscope protestant" (p.103-178). Charpentée autour de cinq contributions, elle détaille, au fil des 75 pages, les diverses palettes du christianisme protestant, marqué par une "précarité" institutionnelle et une grande diversité d'expressions.
Anne Dollfus ouvre le bal par une analyse des recompositions de l'ancrage réformé dans Paris intra-muros au sein de l'Eglise Réformée de France (ERF), "entre héritage et renouveau" (p.105-119). A partir de quatre paroisses situées dans des arrondissements démographiquement très différents (1er, 14e, 16e, 20e), elle montre des logiques d'adaptation très diversifiées, qui vont de l'adoption de traits évangéliques (Belleville) à l'accentuation d'une offre solidaire et sociale (déjeuners de semaine dans les paroisses du Luxembourg et du Saint-Esprit), illustrant une oscillation entre "perte d'influence" et "recomposition" (p.119).
Le protestantisme luthérien et réformé d'Alsace et de Moselle, qui relève du droit concordataire et local est ensuite ausculté par Isabelle Grellier (p.120 à 137). Elle fait observer une pratique supérieure à la moyenne nationale, mais inférieure à celle de l'île de France, avec un décalage de pratique entre les évangéliques et l'UEPAL (Union des Églises Protestantes d'Alsace et de Moselle). S'il y a fragilisation du protestantisme d'héritage, on observe aussi des recompositions et un "frémissement" rénovateur suggéré par les résultats de l'enquête Cléopas (2008) conduite auprès de 100 pasteurs et conseillers presbytéraux.
Mais qu'en est-il des mondes pentecôtistes et charismatiques? Jean-Yves Carluer pose la question des frontières "à l'enthousiasme" (p.138 à 152) au travers d'une typologie fine qui combine diachronie et sensibilités théologiques. A partir de la matrice pentecôtiste des Assemblées de Dieu, relayée par l'essor charismatique puis le mouvement "Troisième Vague", l'auteur pointe une forme de césure entre les deux premières expressions et la troisième, fondée sur le combat spirituel et la théologie de la prospérité. On oscille entre logiques de convergences et une "dynamique" scissipare "loin d'être épuisée" (p.152).
Quant aux évangéliques de lignée piétiste, "entre Bible et réveils", Christopher Sinclair (p.153-164) évalue son impact en France aujourd'hui à un peu moins d'un millier d'Églises locales, soit un tiers du protestantisme évangélique. Il se trouve à la fois représenté au sein du réseau FPF (Fédération Protestante de France) du CNEF (Conseil National des Évangéliques de France) et de nébuleuses indépendances non-affiliées. Dans ces enjeux d'appartenance se joue, observe-t-il, la tension entre un pôle de la "religion du coeur", ouvert à l'oecuménisme, et un pôle orthodoxe plus soucieux de marquer des frontières (p.164).
Le survol du kaléidoscope protestant français ne serait pas complet sans un aperçu des recompositions induites par les Églises issues de l'immigration. C'est sous l'angle des dynamiques spatiales que le géographe Frédéric Dejean les étudie, à partir du terrain du département francilien de la Seine-Saint-Denis (p.165-178). Il montre que les contraintes d'espace, mais aussi les options des groupes étudiés, s'éloignent du modèle paroissial (où la proximité géographique prime) pour privilégier des "communautés sans proximité" (Melvin Webber, cité p.177) en quête d'accessibilité pour draîner des populations disséminées.
Troisième partie (p.179-234)
L'aperçu quantitatif global (première partie) et le resserrement sur les diverses parties prenantes de la "famille recomposée protestante" (seconde partie) appelle un prolongement centré sur les formes sociales et les investissements intramondains de l'identité protestante en France. Tel est l'objet du troisième volet de l'ouvrage (55p).
"La jeunesse protestante, entre Églises et mouvements", est étudiée par Arnaud Baubérot (p. 181 à 193). Les mouvements de jeunesse sont "situés hors des Églises mais étroitement liés à elles", d'où des liens complexes et des tensions, sur fond de bouleversement de la culture juvénile depuis les années 1960. A partir de la "matrice unioniste" (p.182), une dynamique d'émancipation a débouché sur une crise et une sécularisation du scoutisme protestant dans les années 1980 et 1990. L'entrée du XXIe siècle marque une certaine reconfessionnalisation, mais elle est fragile et laisse maintes questions "sans réponse" (p192).
L'étude de l'engagement social du protestantisme français est ensuite l'occasion pour S.Fath (p.194 à 205) de pointer d'importantes évolutions depuis un colloque de l'AFSR (actes publiés en 2000), dans lequel G.Vincent soulignait la tension entre logique de "charité" et logique de "solidarité" au travers de réseaux différenciés, celui de l'Entraide protestante et celui de l'ASEV (évangélique). Depuis, les réseaux ont fusionné dans la Fédération de l'Entraide Protestante (FEP), au service d'une "action sociale plus transversale et moins clivée" (p.201), portée un réseau national de 28.000 collaborateurs (incluant les bénévoles).
Qu'en est-il de l'impact des modes d'institutionnalisation du protestantisme aujourd'hui? Céline Béraud met en évidence certaines dynamiques de transversalité avec les régulations catholiques contemporaines (p.206-217). Elle observe que sur la base d'un "rapport désacralisé et fonctionnel à l'institution" (p.207), le protestantisme n'exclut pas "l'existence de structures supra-locales" (p.210); à l'inverse, le catholicisme, perçu comme centralisé, s'est profondément reconfiguré en direction d'une "légitimité qui vient d'en bas" (p.214), suggérant l'essor de "modes transversaux de régulation de l'autorité" (p.217).
Il revient à Aurélien Fauches de fermer le ban de la Troisième partie en démêlant l'écheveau des fédérations, réseaux et associations qui structurent le protestantisme (p. 218 à 234). A dater de 2010, on apprend que 44,3% des fédérations et unions d'Église appartiennent à un seul réseau fédérateur, 1/3 adhèrent à deux grands réseaux, et 22,9% n'appartiennent à aucun grand réseau protestant, soit près d'un quart : la secondarité de l'institution dans la culture protestante s'en trouve confirmée, avec une diversité d'options aussi foisonnante que complexe et un goût finalement très (ultra)moderne pour la multi-appartenance.
Quatrième partie (p.235 à 379)
Après avoir sondé les logiques sociales du protestantisme au sein de la société française, la quatrième et dernière partie s'attache à élargir la focale à l'échelle internationale, posant la question suivante: "Une différence protestante française dans le contexte international?" En 144 pages, neuf contributions ouvrent grand les fenêtres.
Jean-Pierre Bastian ouvre le ban par un bilan des relations entre le protestantisme français et l'Amérique latine (p.237 à 248). Si les rapports missionnaires ont été quasi inexistants, à l'inverse de l'Afrique ou de l'Océanie, on relève des échanges théologiques, illustrés par l'impact de Georges Casalis (dont la mémoire est l'objet d'une quasi dévotion à Managua), et une transnationalisation évangélique qui tisse des liens. On oscille entre "logique de vérité qui vise à traduire au plan d'une éthique sociale les options de foi", et une "logique de performance" entreprenariale, qui vise à "la croissance de l'évangélisme" (p.247).
Le dossier des "protestants français et l'Europe" (p.249 à 265) est ensuite traité par Bérengère Massignon sur la base de ce constat: la tradition protestante européenne a privilégié les Églises nationales, ce qui n'a pas facilité la structuration au plan européen. "Ces Eglises se sont généralement montrées frileuses face au projet de construction européenne", notamment par peur de "l'Europe vaticane" (p.249). Les protestants français se sont cependant investis, à leur échelle, dans les réseaux (KEK), jouant le rôle d'interface "entre les Églises majoritaires de l'Europe du Nord et les minorités protestantes de l'Europe du Sud" (p.262).
À l'échelle des mondes anglo-saxons, forts d'une démographie protestante sans comparaison avec l'hexagone, que représente le protestantisme français ? A partir du "point d'appui du Refuge" , Sophie-Hélène Trigeaud repère une "continuité historique discrète mais résolument significative" (p.262) au travers de figures françaises comme Jacques Ellul (1912-1994), Paul Ricoeur (1913-2005), Gilbert Bilezikian (né en 1927). L'étude de l'impact du Refuge huguenot à Canterbury ouvre à d'autres liens, entre "histoire et héritage" (p.263-278), comme l'illustrent les terrains du textile ou de la musique sacrée (John Deffray dans le Kent).
Jean-François Zorn ouvre ensuite la focale (p.280-289) sur les horizons méconnus de la francophonie protestante, soulignant "la manière dont le protestantisme français assume la francophonie sans la revendiquer nécessairement comme un combat" (p.280). Détaillant quatre associations de langue française (CEEEFE, Comité protestant des amitiés Françaises, CLCF, AFOM), il s'interroge sur une "conscience en creux" qui valorise peu une défense du français, mais qui nourrit un lien d'autant plus important pour les protestants de l'hexagone qu'un protestant francophone sur 23 seulement, aujourd'hui, est Français (p.280).
Nouveau géant protestant, la Chine s'impose aujourd'hui à l'attention des historiens et sociologues qui se penchant sur le protestantisme. L'apport de Pan Junliang permet de découvrir "l'exemple des Chinois en France" (p.290-299). Retraçant l'histoire de l'immigration chinoise, qui remonte au début du XXe siècle, l'auteur souligne le poids des communautés Wenzhou, originaires d'une petite "Bible Belt" chinoise. Une trentaine d'Églises évangéliques chinoises sont présentes en France, dont 22 en île-de-France (données Ji Zhe). Elles vivent aujourd'hui un protestantisme peu relié au reste du protestantisme hexagonal.
Au-delà du dossier des diasporas chinoises, l'impact des flux d'immigration conduit Bernard Boutter à s'interroger: "Le protestantisme en France, un terreau d'accueil privilégié pour les migrants?" (p.300 à 313). A partir d'un remarquable survol synthétique, il périodise trois phases, qui vont de l'attente d'assimilation (jusqu'aux années 1970) à la mise en place de passerelles et d'institutions (années 19